LE NAUFRAGE DU BOUTRE
Un samedi de mars 1976, je quitte l'école de Mouddo pour rejoindre Tadjourah où je laisse ma moto avant de prendre le bac
et passer le week-end à Djibouti pour y rencontrer quelques collègues VAT (Volontaires à l'Aide Technique)
et faire des achats pour les semaines à venir. A cette époque, Djibouti était un port franc et les taxes étaient très faibles.
J'avais décidé d'acheter un radio-cassette de qualité qui me permettrait d'écouter mes cassettes
et de capter Radio France sur les ondes courtes.
Le lendemain, au retour, je n'ai pas pris le bac: la traversée était trop chère et les horaires peu adaptés
aux nombreuses heures de piste qui me restaient à parcourir pour revenir à Mouddo.
J'ai donc embarqué dans un boutre, beaucoup plus lent mais bien moins cher et plus "couleur locale".
J'étais installé sur la partie arrière du bateau. Une plaque de métal avait été installée sur le pont:
c'est là que le cuisinier devait faire un feu pour préparer le repas de midi.
Je ne sais pas très bien ce qui s'est passé, mais il semble que des braises se soient envolées autour du foyer...
Le feu a pris immédiatement et s'est propagé à tout le boutre en quelques minutes. Il devait y avoir une cinquantaine de passagers à bord.
La plupart d'entre eux se sont jetés à l'eau mais certains ne savaient pas nager et ont attendu le dernier instant,
lorsque le bateau s'est embrasé, pour sauter à la mer. J'avais avec moi deux sacs de voyage, le premier contenant
mes achats de nourriture, le second mon radio-cassette tout neuf (qui avait coûté l'équivalent de 300 euros).
Je n'ai gardé avec moi que mes papiers et mon argent, coincés dans mes sous-vêtements, et j'ai sauté en abandonnant mes affaires à bord.
Il y avait des gens partout autour du bateau en feu. Ceux qui ne savaient pas nager s'aggripaient à des morceaux de bois.
On entendait des cris de détresse et des appels à l'aide. J'ai aidé une femme et son enfant à s'accrocher à un gros bidon en plastique.
Nous nous sommes éloignés du bateau en flammes le plus vite possible. Quelques instants plus tard, une épaisse fumée noire
se dégageait de l'embarcation. Une violente explosion s'est produite et le bateau a coulé à pic.
Heureusement pour nous, la fumée avait attiré l'attention de la vigie du port de Djibouti:
moins de dix minutes plus tard, deux garde-côtes sont arrivés et ont récupéré les naufragés.
J'ignore le nombre de victimes, mais il a été conséquent. Je faisais partie des heureux rescapés...
J'ai été pris en charge par le président des VAT qui m'a trouvé un hébergement temporaire et qui est intervenu auprès des autorités
pour qu'une aide financière me soit octroyée. J'ai aussitôt reconstitué mon stock de nourriture et racheté un radio-cassette
identique au précédent. Cette fois, j'ai pris le bac pour rejoindre Tadjourah et retrouver mon école.